De la spiritualité du réseau ?

Dans le cadre des journées des communicants diocésains (du 22 au 24 juin), le frère Jean-Alexandre (ocd) est intervenu lors de la 3ème édition de la journée « diocèse et internet » le 24 juin 2015 à la Conférence des évêques de France. Il nous a présenté une relecture spirituelle de la journée vécue sur le thème : « De la spiritualité au réseau ». 

Nous avons donc besoin d’une spiritualité apte à nous faire travailler en réseaux de manière évangélique ; une spiritualité qui relève deux défis :
– entrer dans de justes relations avec les autres (chasteté) : passer de la connexion à la communion
– ce qui suppose d’avoir déjà trouvé sa place dans le réseau : apprivoiser son être, sa solitude

Je vais donc détailler ces deux points importants pour une collaboration féconde au service de l’Evangile, en partant de l’intériorité vers les relations. Nous nous mettrons à l’école de sainte Thérèse d’Avila.

1. Apprivoiser sa solitude et son intériorité

– S’exercer à apprivoiser le vide

Comme toute réalité créée, même bonne en soi, l’omniprésence de l’environnement numérique peut parfois nous tromper et nous faire décrocher de notre humanité. Voilà pourquoi l’Eglise nous appelle, notamment pendant le carême, à repérer ce dont nous sommes le plus dépendants afin de pouvoir faire un exercice de mise à distance. C’est un « exercice pratique » (ascèse) de détachement qui a pour but de nous rendre libres vis-à-vis de nos attachements gluants, de ce qui entrave notre chemin vers la pleine liberté chrétienne. C’est le cas pour notre connexion : il est sain de choisir de se déconnecter régulièrement de nos réseaux habituels pour mieux les retrouver ainsi.
Bien sûr, la déconnexion n’a rien de facile et peut susciter en nous des angoisses profondes : elle nous donne d’affronter notre vide et notre solitude. Pourtant l’expérience du vide, la capacité à vivre des temps de solitude n’est pas une option mais un passage obligé vers la maturité humaine et spirituelle.

– Entrer en soi pour s’ancrer en Dieu

Nous qui sommes croyants avons la grâce de savoir que nous avons une intériorité habitée, que « nous ne sommes pas vides au-dedans » (Chemin de perfection 28,11). Nous avons un monde en nous qui nous permet de nous enraciner, de mûrir, pour porter du fruit. cf. image de l’arbre. Par le recueillement, nous apprenons à tourner notre être dispersé vers le dedans ; nous ramassons nos composantes pour les orienter vers l’intérieur. L’enjeu est bien sûr de nous unifier, de nous enraciner. Mais ce n’est pas de l’introspection : c’est une quête intérieure, celle de Dieu en nous. Au centre de nous-mêmes Dieu demeure. La spiritualité du Carmel est fondée sur cette affirmation évangélique. « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Le sanctuaire de Dieu est sacré, et ce sanctuaire, c’est vous. » (1 Co 3,16) Notre être, notre corps est donc un espace habité par Dieu : à nous d’habiter notre corps pour ne pas nous transformer en des cerveaux sur pates…

– Faire silence
Il est important d’apprendre à ménager des plages de silence dans nos vies trop bruyantes pour que notre environnement sonore soit rythmé et que silence ne sonne pas avec vide. L’apprentissage du silence comme un espace nécessaire de maturation et non d’angoisse est vital pour l’assimilation de nos connaissances mais aussi pour écouter la voix de Dieu. Le silence n’est qu’un climat qui nous donne accès à l’écoute de la Parole de Dieu, celle qui ne déçoit pas car elle est éternelle quand toutes les paroles humaines disparaitront un jour.

2. Passer de la connexion à la communion

Cela nous invite à deux changements de vocabulaire :

– De la connexion à la communion

La connexion est le fait d’être relié les uns aux autres, dans la logique des réseaux sociaux. Mais cela peut être ambigu : en quoi cela engage-t-il une véritable relation ? On parle actuellement beaucoup de communication sans ne plus savoir ce que cela implique que de communiquer. La communication véritable est un engagement qui implique pourtant jusqu’au don de soi. Ce n’est pas un simple échange d’informations. Dans la perspective chrétienne, la communication vise la communion : elle est don de soi en vue d’établir des relations stables qui établissent la paix et la justice entre les membres.

L’Evangile nous invite ainsi dans nos réseaux à passer de la logique de la connexion à celle de la communion, d’un lien qui peut être complètement neutre ou vide à une vraie relation engageante. En cela, nous avons un modèle, le Christ.

– Du réseau au Corps du Christ

Certes, l’Eglise peut être comparée à un réseau visible fait de diocèses, de paroisses et de communautés et invisible avec les saints. cf. développement des premières communautés chrétiennes. Pour autant comme le fait remarquer le P. Spadaro, l’Eglise ne peut pas être calquée sur le modèle du Net. L’image du réseau est intéressante mais elle est insuffisante théologiquement ! Nous ne sommes pas un noeud anonyme de connexion dans un espace sans centre. Nous sommes un membre unique du Corps du Christ qui conduit au Père dans la communion des saints établie par l’Esprit. L’Eglise n’est pas horizontale et sans orientation : elle est marqué par une transcendance qui donne sens.
Le vrai modèle à avoir en considération n’est pas le réseau mais le Corps du Christ, un ensemble relié sur un modèle organique et non numérique : la référence est biologique et vitale et non numérique et calculatoire. Cela fait une différence importante dans les liens qui ne sont pas automatiques. Dans le Corps du Christ, les membres ont une place unique, différente des autres (1Co 14). Certains membres ont plus de responsabilité que d’autres mais ce sont des responsabilités aussi envers les plus faibles : il n’y a pas d’exclu dans le Corps du Christ. Tous ont leur place, même ceux qui ne la connaissent pas ou ne veulent pas la prendre.

Conclusion : veiller sur notre corps

Ce qui fait le lien entre notre intériorité et la relation avec les autres, c’est bien notre corps. C’est en habitant notre corps, demeure de Dieu, que nous pourrons édifier le vrai réseau qui est le Corps du Christ par des liens de communion et non pas simplement de connexion. Veiller sur son propre corps, prendre soin du Corps du Christ qu’est l’Eglise, voilà un double défi de taille pour les décennies à venir. cf. enjeux du transhumanisme.

fr. Jean-Alexandre de Garidel, ocd
Couvent de Paris – 6 rue Jean Ferrandi 75006 Paris
www.carmes-paris.org
www.carmel.asso.fr