Les réseaux sociaux et les jeunes

Les relations entre les jeunes

Presque tous les jeunes aujourd’hui sont inscrits sur des sites sociaux : cette immersion commence un peu lors du primaire (20 % des enfants français auraient un compte Facebook), s’accentue avec l’arrivée au collège (48 %), et devient quasiment générale au moment du lycée (90 %) selon une étude effectuée en 2008 en France. Selon un sondage IFOP en 2010, 62 % des 18-24 ans déclarent être membres de 4 réseaux sociaux. Cette inscription ne signifie pas que les adolescents participent tous avec la même intensité à la sociabilité numérique, mais la plupart d’entre eux font un usage quotidien d’Internet, le consultent plusieurs fois par jour, en particulier pour les réseaux sociaux et les blogs. Cette donnée essentielle reconfigure les modes de relations entre les jeunes : elle relaie, prolonge, réorganise les contacts sans toutefois, évidemment, éradiquer ou même réduire le face-à-face avec les amis ou/les sorties entre jeunes. L’amitié high-tech reste éloignée de celle, plus authentique et plus confiante, que l’on construit dans « la vie réelle » ; plus précisément, ces amitiés sont d’intensité variable : certains « amis » sont des proches, d’autres de vagues ou d’anciennes connaissances, d’autres des personnes inconnues juste croisées que l’on ne reverra jamais, d’autres des « amis d’amis » à peine identifiés ; les vraies conversations s’opèrent dans la sphère des intimes d’avant, ceux d’ailleurs auxquels on consacre du temps au téléphone.

L’amitié en ligne fait l’objet de critiques, comme si elle marquait la fin des liens profonds et quasi exclusifs de l’amitié véritable. Or ce pessimisme semble une vue de l’esprit, si l’on regarde à la loupe la vie des adolescents et des jeunes adultes. L’amitié est au plus haut dans les valeurs encensées par les jeunes. Ceux-ci savent bien distinguer les différents niveaux concentriques qui vont de l’attachement intime et durable au contact en pointillé avec les membres du réseau. De fait, c’est sur cet ensemble de liens à intensité graduée qu’ils comptent, plus que tout, pour fonctionner et avancer dans la vie, bien avant les formes d’institution collective ou même la famille – pourtant portée en écharpe.

Par contre le partage de fichiers – créations personnelles, morceaux de musiques, films, jeux, photos, vidéos ou informations – pour lequel les sites communautaires sont bien adaptés s’opère facilement avec des inconnus. Pour autant il ne faudrait pas idéaliser la fonction de mixage du réseau : on s’ouvre certes à d’autres, mais on a toutes les chances de naviguer dans le même univers socioculturel. Si Internet élargit les chances de participation de tous à l’espace public, il reproduit en son sein les clivages de la société.

L’« intimité » des jeunes

Le dévoilement de leur intimité pose-t-il question pour les jeunes ? L’étude de l’IFOP de 2010 déjà citée indique que les jeunes des 18-24 ans sont adeptes d’une certaine transparence. 85 % mettent en ligne leur nom de famille, 86 % déposent des photographies d’eux-mêmes, 65 % des photos de leurs proches, 79 % y dévoilent leurs passions ou leurs intérêts personnels, 51 % dévoilent leur orientation sexuelle, 42 % mettent leur CV ; mais tous ces scores dégringolent après 25 ans, et se réduisent encore plus au fur et à mesure que l’on avance en âge. Sans doute ces données personnelles sont-elles réservées aux seuls amis pour 43 % des 18-24 ans. Il demeure que les jeunes ne semblent pas inhibés par la crainte de trop se montrer, au contraire.

Ecologie des réseaux et « valeurs » des jeunes

Sur les réseaux sociaux circulent des valeurs qui parlent à la jeunesse : la liberté d’expression sans limite, l’idéal égalitaire, l’idéologie du don et de l’échange désintéressé, la création collective, l’intelligence collective, le do-it-yourself, la culture pour tous et donc la gratuité des biens culturels (cette gratuité qui est une habitude chez les jeunes, avec la presse, la musique…). L’idée que l’on puisse changer le monde en comptant sur ses propres forces, et en se changeant soi-même plutôt qu’en renversant les institutions politiques figure d’ailleurs dans les gênes de l’Internet ; mais ces valeurs sont encore davantage activées grâce à l’architecture originale et à la puissance de propagation des réseaux sociaux.

Il y a plus : les réseaux ne sont pas seulement un outil particulier au service du débat public et du lien social. Par eux-mêmes, par les processus d’interactions humaines qu’ils mettent en mouvement, par l’instauration d’une conversation généralisée et l’effacement des frontières entre professionnels et amateurs, entre experts et grand public, ils ont une signification quant à l’avenir des sociétés. Les réseaux constituent une écologie spécifique, avec ses lois particulières, et un système de valeurs, une mythologie, des utopies qui lui sont attachées.

Autre originalité de ces échanges en ligne : ils entretiennent une apothéose du présent emblématique de la culture adolescente ; ce qui se traduit en particulier par la fugacité des contacts. « Demain c’est loin, l’avenir, c’est la minute d’après », chante un groupe de rap. La fréquence des connexions et leur durée dessinent un espace commun, un sas où s’élaborent une sensibilité et une humeur générationnelle. L’efficacité de la technologie se porte alors au service d’un mouvement séculier : « nous construisons ensemble notre jeunesse ».

La sociologie des jeunes

Cette écologie et les valeurs qui lui sont associées reconfigurent la sociabilité de la jeunesse. La sociabilité en réseaux a pris son essor en bénéficiant d’un contexte culturel qui lui est favorable. D’abord par le temps dont dispose la jeunesse. Aujourd’hui l’adolescence et la post-adolescence s’étalent sur de longues années. La préadolescence commence à partir de 10-11 ans et l’abord dans l’âge adulte ne s’opère que vers 25-30 ans, en raison de la longueur des études et de l’entrée par paliers dans le monde du travail. C’est pendant cette période de latence et d’expérimentations que se forgent, se composent et se recomposent les liens amicaux qui, souvent, vous suivront toute la vie. Internet fournit ainsi un outil pour la sociabilité qui prolonge et amplifie les contacts sociaux et amicaux de la vie « réelle ». Parallèlement, cultiver ses compétences relationnelles fait partie, plus que jamais, des valeurs du système éducatif, tant cette ouverture agit comme un levier à tous les étages de la vie : pour le bien être psychologique que ces liens procurent – notamment la reconnaissance et la confiance des pairs -, d’une part ; pour l’intégration sociale d’autre part. Converser et échanger via les réseaux numériques est un habitus acquis par les gens de vingt ans qui dès l’enfance ont baigné dans la pratique digitale. Il demeure que, pour la majorité des adolescents, la vie numérique n’a pas remplacé le monde réel avec ses face-à-face, ses conflits, ses contraintes et ses plaisirs.

Pour terminer, la question qui se pose pour les adolescents et les jeunes est toujours la même : comment devenir adulte ? Le développement des réseaux sociaux intervient beaucoup dans la réponse à cette question. D’une part les groupes de « pairs », dont l’importance s’est accentuée avec l’individualisme et l’émergence des cultures adolescentes, forment le viatique pour cheminer durant cette longue période qui va de la fin de l’enfance au statut d’adulte autonome. D’autre part, la technologie intensifie et renouvelle les formes d’échanges au sein de ces noyaux amicaux, elle instaure une manière originale pour « faire génération». La combinaison de ces deux facteurs entraîne de profondes modifications :

  •  des modifications cognitives, des modifications de la perception du monde dues à l’existence du cyberespace
  •  des modifications des lois de fonctionnement, des valeurs et des utopies, véhiculées par les réseaux sociaux ; émergence d’un ensemble de nouvelles formes culturelles, à étudier, et d’autres rapports à la culture : culte du gratuit et de la culture pour tous, créativité, solidarité générationnelle
  • l’apparition d’une sociabilité à la fois plus large, plus superficielle, mais relativement efficace socialement et psychologiquement.

Tout cela peut conduire à une transformation anthropologique de grande ampleur.

Dossier du SNFS « Les réseaux sociaux sur internet »

Les réseaux sociaux sur internet

Petit panorama des réseaux sociaux

Une révolution pour la communication… souvent à double face